"Cinq-Mars", Alfred de Vigny.
Il était dans ma pile depuis un bon moment, celui-là, mais comme il s'agit d'un pavé plutôt conséquent, j'ai préféré attendre la fin de l'année pour m'y mettre... Résultat : je l'ai dévoré en moins d'une semaine.
Cinq-Mars, ou Une Conjuration sous Louis XIII
1640 : un procès de sorcellerie. Un bûcher. Un complot. Louis XIII défaillant d'amour, de culpabilité et de haine devant son jeune et gracieux favori. Richelieu remontant le Rhône dans un bâteau tapissé de velours cramoisi qui traîne derrière lui l'embarcation où Cinq-Mars et de Thou enchaînés sont conduits au supplice : leur mort signifiera la fin de la vieille noblesse écrasée par le pouvoir et la raison d'Etat. Dans la foulée de Walter Scott et en attendant Dumas, Cinq Mars est le premier en date, le plus dramatique et sans doute le plus réussi des romans historiques français.
Encore une fois, la quatrième de couverture pêche un peu par excès de zèle, mais elle me fait rire, donc je la laisse telle quelle XD De fait, si le roman commence bel et bien par le procès en sorcellerie d'Urbain Grandier et son éxécution sur le bûcher, les tribulations de Cinq-Mars, elles, ne se résument pas à sa relation avec Louis XIII. Cette dernière n'est d'ailleurs pas aussi "explicitement" rendue que ne l'annonce la quatrième. Certes, si l'on garde la rumeur de la Petite Histoire à l'esprit pendant la lecture ( blague du jour : "Pourquoi Louis XIII ne savait pas lire ?" ; "Parce qu'il sautait les pages." ) et qu'on s'attache précisément à la figure du roi, les sentiments du monarque pour son favori peuvent à la rigueur paraître ambigus. Mais très honnêtement, ce n'est pas le propos de Vigny : Louis XIII est un homme faible, qui tremble exactement de la même manière devant Cinq-Mars que devant Richelieu. Ou du moins, qui se montre aussi lâche vis-à-vis de l'un comme de l'autre. Richelieu l'effraie par son pouvoir et son génie politique, Cinq-Mars l'épouvante en ce qu'il a ce que lui n'aura jamais : du courage, de la grandeur, et surtout de la suite dans les idées. Ambiguité ou pas, donc, la pauvreté de caractère du roi empêche de toutes façons de voir autre chose en lui qu'un couard mélancolique.
Là où les yaoistes acharnées ( *sifflote* ) pourraient trouver matière à fantasmer serait à la rigueur dans la relation Cinq-Mars/de Thou, qui pour le coup a quelque chose de vraiment équivoque, au moins du côté du conseiller de Thou ( qui au passage est un personnage vraiment sublime, tant dans sa pureté que dans son dévouement pour Cinq-Mars ), car chez Cinq-Mars, la vision romantique a pris le pas sur la réalité historique, comme bien souvent dans ce genre de roman.
Du conspirateur et traître à son pays, Vigny a fait un jeune homme visionnaire et passionné, épris de poésie et de grands sentiments, qui ne se jette dans la vie politique que par amour pour la princesse Marie de Gonzague, qu'il ne pourra épouser que s'il s'élève socialement. Une histoire d'amour assez fadasse en tant que telle, mais qui aura d'énormes conséquences sur les choix de Cinq-Mars qui, en bon aristocrate, ne reculera jamais ni ne reniera aucun de ses actes. Il hait sincèrement Richelieu ( qui apparaît à la fois comme un grand politique et un grand criminel, surtout avec l'affaire Urbain Grandier ), qu'il ne veut plus voir régner seul en France, mais la première cause de la conjuration est avant tout le défi qu'il se lance à lui-même par rapport au destin. Et de même, en bon héros romantique, il se viandera royalement ( c'est le cas de le dire ), et de son plein gré. Marie est sensible, affectueuse, mais légère et inconstante ( presque aussi tête à claques que La Vallière chez Dumas, en fait, ce qui n'est pas peu dire ) : son amour-propre et l'orgueil de son rang auront bien vite raison de ses sentiments pour Cinq-Mars, qui n'aura alors plus qu'à mourir pour aller jusqu'au bout, pour ne rien avoir à regretter.
Un chef-d'oeuvre romantique, plein de grands sentiments et de considérations sur la vanité des entreprises humaines, et une mise en abyme implicite de la destinée. A ce sujet, d'ailleurs, on peut parfois sourire ( voire rire tout court ) des artifices de Vigny, qu'on voit souvent venir à quinze kilomètres. Genre, lors d'une scène chez Marion Delorme, on assiste à une réunion des beaux-esprits du moment ( des académiciens dont personne ne se souvient aujourd'hui :p ), qui écoutent un certain John Milton réciter le premier chant d'un poème obscur intitulé Paradise Lost... et qui le descendent en flèche, parce qu'ils n'y comprennent rien. Seules trois personnes apprécieront la lecture : Jean-Baptiste Poquelin, Pierre Corneille et un jeune officier nommé René Descartes, eux-mêmes méprisés par l'assemblée. Hénaurme, quoi XD
Le roman lui-même n'est d'ailleurs qu'un jeu de miroirs et de scènes programmatiques. L'éxécution d'Urbain Grandier du début annonce bien-sûr celle de Cinq-Mars et de Thou, de même que la conjuration des grands nobles contre le centralisme de Richelieu préfigure la Fronde, ou encore la faiblesse de Louis XIII incapable de régner par lui-même qui sert de contrepoids à ce que sera plus tard l'absolutisme de son fils Louis XIV. Le bouquin se termine d'ailleurs sur cette prédiction de Milton : "Je vais trouver un homme qui n'a pas encore paru, et que je vois dominé par cette misérable ambition ; mais je crois qu'il ira plus loin. Il se nomme Cromwell."
Pas forcément le plus grand, donc, ni le plus dramatique des romans historiques ( Dumas fera aussi bien, voire encore mieux ), mais un des chefs-d'oeuvres du genre, assurément. A lire, pour tous ceux qui s'intéressent au XVIIe siècle, au romantisme, ou tout simplement aux grandes histoires ;)
Cinq-Mars, ou Une Conjuration sous Louis XIII
1640 : un procès de sorcellerie. Un bûcher. Un complot. Louis XIII défaillant d'amour, de culpabilité et de haine devant son jeune et gracieux favori. Richelieu remontant le Rhône dans un bâteau tapissé de velours cramoisi qui traîne derrière lui l'embarcation où Cinq-Mars et de Thou enchaînés sont conduits au supplice : leur mort signifiera la fin de la vieille noblesse écrasée par le pouvoir et la raison d'Etat. Dans la foulée de Walter Scott et en attendant Dumas, Cinq Mars est le premier en date, le plus dramatique et sans doute le plus réussi des romans historiques français.
Encore une fois, la quatrième de couverture pêche un peu par excès de zèle, mais elle me fait rire, donc je la laisse telle quelle XD De fait, si le roman commence bel et bien par le procès en sorcellerie d'Urbain Grandier et son éxécution sur le bûcher, les tribulations de Cinq-Mars, elles, ne se résument pas à sa relation avec Louis XIII. Cette dernière n'est d'ailleurs pas aussi "explicitement" rendue que ne l'annonce la quatrième. Certes, si l'on garde la rumeur de la Petite Histoire à l'esprit pendant la lecture ( blague du jour : "Pourquoi Louis XIII ne savait pas lire ?" ; "Parce qu'il sautait les pages." ) et qu'on s'attache précisément à la figure du roi, les sentiments du monarque pour son favori peuvent à la rigueur paraître ambigus. Mais très honnêtement, ce n'est pas le propos de Vigny : Louis XIII est un homme faible, qui tremble exactement de la même manière devant Cinq-Mars que devant Richelieu. Ou du moins, qui se montre aussi lâche vis-à-vis de l'un comme de l'autre. Richelieu l'effraie par son pouvoir et son génie politique, Cinq-Mars l'épouvante en ce qu'il a ce que lui n'aura jamais : du courage, de la grandeur, et surtout de la suite dans les idées. Ambiguité ou pas, donc, la pauvreté de caractère du roi empêche de toutes façons de voir autre chose en lui qu'un couard mélancolique.
Là où les yaoistes acharnées ( *sifflote* ) pourraient trouver matière à fantasmer serait à la rigueur dans la relation Cinq-Mars/de Thou, qui pour le coup a quelque chose de vraiment équivoque, au moins du côté du conseiller de Thou ( qui au passage est un personnage vraiment sublime, tant dans sa pureté que dans son dévouement pour Cinq-Mars ), car chez Cinq-Mars, la vision romantique a pris le pas sur la réalité historique, comme bien souvent dans ce genre de roman.
Du conspirateur et traître à son pays, Vigny a fait un jeune homme visionnaire et passionné, épris de poésie et de grands sentiments, qui ne se jette dans la vie politique que par amour pour la princesse Marie de Gonzague, qu'il ne pourra épouser que s'il s'élève socialement. Une histoire d'amour assez fadasse en tant que telle, mais qui aura d'énormes conséquences sur les choix de Cinq-Mars qui, en bon aristocrate, ne reculera jamais ni ne reniera aucun de ses actes. Il hait sincèrement Richelieu ( qui apparaît à la fois comme un grand politique et un grand criminel, surtout avec l'affaire Urbain Grandier ), qu'il ne veut plus voir régner seul en France, mais la première cause de la conjuration est avant tout le défi qu'il se lance à lui-même par rapport au destin. Et de même, en bon héros romantique, il se viandera royalement ( c'est le cas de le dire ), et de son plein gré. Marie est sensible, affectueuse, mais légère et inconstante ( presque aussi tête à claques que La Vallière chez Dumas, en fait, ce qui n'est pas peu dire ) : son amour-propre et l'orgueil de son rang auront bien vite raison de ses sentiments pour Cinq-Mars, qui n'aura alors plus qu'à mourir pour aller jusqu'au bout, pour ne rien avoir à regretter.
Un chef-d'oeuvre romantique, plein de grands sentiments et de considérations sur la vanité des entreprises humaines, et une mise en abyme implicite de la destinée. A ce sujet, d'ailleurs, on peut parfois sourire ( voire rire tout court ) des artifices de Vigny, qu'on voit souvent venir à quinze kilomètres. Genre, lors d'une scène chez Marion Delorme, on assiste à une réunion des beaux-esprits du moment ( des académiciens dont personne ne se souvient aujourd'hui :p ), qui écoutent un certain John Milton réciter le premier chant d'un poème obscur intitulé Paradise Lost... et qui le descendent en flèche, parce qu'ils n'y comprennent rien. Seules trois personnes apprécieront la lecture : Jean-Baptiste Poquelin, Pierre Corneille et un jeune officier nommé René Descartes, eux-mêmes méprisés par l'assemblée. Hénaurme, quoi XD
Le roman lui-même n'est d'ailleurs qu'un jeu de miroirs et de scènes programmatiques. L'éxécution d'Urbain Grandier du début annonce bien-sûr celle de Cinq-Mars et de Thou, de même que la conjuration des grands nobles contre le centralisme de Richelieu préfigure la Fronde, ou encore la faiblesse de Louis XIII incapable de régner par lui-même qui sert de contrepoids à ce que sera plus tard l'absolutisme de son fils Louis XIV. Le bouquin se termine d'ailleurs sur cette prédiction de Milton : "Je vais trouver un homme qui n'a pas encore paru, et que je vois dominé par cette misérable ambition ; mais je crois qu'il ira plus loin. Il se nomme Cromwell."
Pas forcément le plus grand, donc, ni le plus dramatique des romans historiques ( Dumas fera aussi bien, voire encore mieux ), mais un des chefs-d'oeuvres du genre, assurément. A lire, pour tous ceux qui s'intéressent au XVIIe siècle, au romantisme, ou tout simplement aux grandes histoires ;)