"Crise d'identité"

CRISE D'IDENTITE
par Andromède/Emmanuelle Brioul.
d'après les romans d'Alexandre Dumas.

Ca y est. Il a enfin crié. Il s’est enfin demandé pourquoi. Pourquoi lui, pourquoi vous, pourquoi lui et vous.

 

C’est normal, non, il vous aime toujours, mais il en a assez, je crois, c’est bien. Assez de n’être que votre avatar avec trente ans de moins. Il se cherche, il se pose des questions sur ce que vous lui avez appris. Est-ce qu’il n’y a que ça ? Est-ce qu’il ne peut apprendre que par vous ?

 

Et lui ? Qu’est ce qui le différencie de vous ? Qu’est-ce qui fait qu’il est lui ? Il fait sa crise d’identité. Il est lui, il n’est pas vous. J’ai lu une fois que les bons pères écrasaient les bons fils. C’est vrai pour lui et vous. Vous êtes un héros trop parfait, il vous adore et vous l’adorez.

 

Il marche sur vos traces depuis toujours, mais le problème c’est qu’il ne fait que ça. Comment voulez vous grandir comme ça ? Vous êtes devant lui, vous lui bouchez l’horizon. Et lui ne songe même pas à vous doubler, ou tout simplement à s’écarter un peu pour aller voir ce qui se passe au-delà de votre ombre. Aujourd’hui c’est ce qu’il a fait. Il ne vous remet pas en cause, non, bon sang, il vous aime et il sait que ce que vous lui avez enseigné est juste. Trop juste. Non, c’est lui-même qu’il remet en cause.

 

Est-il un être humain ? Ou n’est-il qu’un fils ? N’est-il pas plus que votre fils ? Non ? Oui ? Il veut se souvenir de vous, mais que l’on se souvienne de lui sans vous. Raoul veut marcher seul, ou plutôt, il voudrait savoir comment suivre sa propre route sans trop s’éloigner de la votre, pour pouvoir toujours vous croiser, et sans vous rentrer dedans non plus. Il n’a vécu que par vous, que pour vous jusqu’à présent, comprenez-le.

 

Qu’a-t-il fait dans sa vie, sinon ce que vous lui avez dit de faire ? Il a aimé Louise. C’est tout. Cette fille est une poupée qui pleure, et qui n’a été faite que pour ça. C’est méchant mais c’est un peu comme lui. Il n’a été fait que pour vous suivre.

Manque de chance, quand on suit quelqu’un sans regarder où on marche, on finit toujours par se casser la figure, même si ce quelqu’un reste debout.

Aimer Louise c’est la seule chose qu’il ai faite contre votre avis, la seule chose qui lui donnait une autre couleur que la votre. Qui lui donnait un peu de substance. Raoul de Bragelonne, fils d’Athos. Et amant de Louise de La Vallière. Ce n’était pas grand-chose, mais c’était déjà ça.

 

Il n’avait jamais cherché à aller voir ailleurs, à regarder plus loin. Il s’en moquait bien. Mais aujourd’hui il se rends compte que, s’il ne s’est pas trompé, du moins n’a-t-il pas eu la joie de trébucher et de se relever tout seul. Il n’a pas eu l’excitation de s’arrêter aux carrefours et de regarder toutes les voies avant d’emprunter l’une d’elle.

 

Aurait-il voulu grandir seul ? Je l’ignore. Ce que je sais c’est qu’aujourd’hui il veut exister. Il veut savoir pourquoi la postérité le salue de loin, lorsqu’elle le croise par hasard, en ne faisant que hausser les épaules et dire : le fils d’Athos. Il n’a même plus d’autre nom !

 

Raoul, non, Raoul de Bragelonne ! Deux bras, deux jambes et un cerveau. Eh bien on va tâcher d’employer tout ça à quelque chose. Et plutôt que de rester dans le territoire déjà conquis par papa, on va aller explorer plus loin. Encore plus loin, toujours plus loin. Mais en revenant au bercail de temps en temps, parce que ça fait du bien, parce qu’il vous aime et qu’il veut vous voir. Mais il veut voir les autres aussi. Et il voudrait bien se regarder lui-même sans être forcément obligé d’y associer votre souvenir. Il veut exister. Il se demande qui il est.

 

Il a fait une bêtise, il en a tiré une leçon. Tout seul. Et croyez-moi, la seule envie qu’il ait aujourd’hui c’est d’en faire beaucoup d’autres. Pour apprendre. Comprendre seul ce qu’il n’avait fait qu’apprendre de vous. Se forger un être à lui, plonger dans son cœur et n’en pas ressortir les mains vides. Parce que jusqu’à présent, il n’avait qu’à tendre la main vers le votre et y puiser les merveilles dont il avait besoin.

Mais ça va changer.

Muni de vos conseils et de sa propre volonté, il va déployer ses ailes et tenter de bâtir son nid à lui. Pas sur les bases du vôtre, avec la même technique de base, mais avec ses propres tentatives. Nul ne sait si il sera aussi beau, aussi grand que le votre, mais au moins sera-ce sa maison à lui.

 

C’est votre fils, mais c’est un être humain. Il vient juste de couper le cordon. Rien de grave, on passe tous par là un jour.

FIN

Emmanuelle Brioul, Août 2006.

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