"Le Libraire d'Amsterdam", Amineh Pakravan.
Au gré de ses souvenirs, Guillaume Pradel, libraire et cartographe, nous fait voyager de ville en ville, au temps des guerres de religions. Retraçant la vie de son père et celle de son grand-père, libraires-typographes eux aussi, il évoque les difficultés des deux hommes, leurs haines réciproques, leur foi fanatique, l’un catholique, l’autre devenu protestant. Le milieu des imprimeurs n’est pas tendre, le travail est dur, les rivalités grandes et l’on déplaît si vite au roi que le métier est dangereux. Pourtant, malgré une histoire et une enfance mouvementée, en ces temps obscurs ravagés par la peste noire et les haines religieuses, Guillaume choisira cette voie. Passionné d’astronomie, fasciné par les progrès des sciences et des techniques, ami de la raison humaniste et du savoir éclairé, il rencontre les grands astronomes de son époque et le cours de sa vie en est bouleversé. En proie au doute et à une quête métaphysique, ballotté par les événements auxquels il tente de donner un sens, Guillaume cherche une raison au chaos du monde. Animé par une soif inextinguible de connaissance, il trouve dans son ami Jean des Sept Écluses, marin et marchand à l’esprit aventurier, son alter ego. Ensemble, ils décident de partir pour le Nouveau Monde.
Pour son premier roman, Amineh Pakravan nous livre une ode à la découverte, au pouvoir de la connaissance et au voyage.
Que dire, sinon que je ne regrette pas d'avoir cédé une fois de plus aux beaux yeux de la tentation ? Le titre et le résumé sont déjà fort séduisants en eux-mêmes, et le contenu l'est encore bien davantage. En fait de libraire d'Amsterdam, ce livre est bien plutôt l'histoire de trois générations, trois hommes qui auront chacun le choix quant à leur destinée, mais qui choisiront tous de travailler dans les métiers du livre, professions aussi nouvelles que dangereuses en ce milieu de XVIe siècle.
Mathieu, Simon et Guillaume ( dans l'ordre : du grand-père au petit-fils ) représentent la marche de l'Histoire, symbolisant chacun une époque ( Mathieu incarne la résignation du Moyen-Âge, Simon la révolte protestante et Guillaume la nouvelle foi en la science et la raison qui sera celle du XVIIe siècle cartésien ), mais également un stade de l'apprentissage humain. Mathieu et Simon se détesteront toute leur vie, ou presque, incarnant les deux conceptions de la foi à cette époque, l'une catholique et traditionnaliste, l'autre réformée et assoiffée de changement. Aussi féroces et intolérantes l'une que l'autre.
Guillaume héritera de cette longue querelle, de ce qu'elle a révélé de faiblesse dans les deux camps et dans l'Homme en général. Ayant compris et accepté les erreurs de ses pères, il peut désormais commettre les siennes, c'est à dire vivre sa vie : après les massacres et le fanatisme, après la vanité des passions et des intérêts humains, lui représente la Raison, la quête de l'esprit qui cherche à s'élever et à comprendre. Puisqu'aucune des deux religions n'a donné de réponses, vers quoi faut-il se tourner ? Guillaume lui, choisit la voie de la science, des mathématiques, de l'astronomie... Devenu libraire-cartographe-graveur, il passera sa vie à mesurer, chercher, apprendre. Mais cette voie là n'est pas sans danger non plus : son père avait vu périr Etienne Dolet et entendu sonner les cloches de la Saint-Barthélémy, lui verra Giordano Bruno sur le bûcher, Galilée reniant ses théories et Descartes contraint de fuir de village en village, incapable de trouver la paix.
De l'immobilisme de Mathieu au grand voyage scientifique, maritime et spirituel qu'entreprendra Guillaume, en passant par trois vies consacrées à développer l'art du livre, des pages tournées et du Verbe distillé, Amineh Pakravan a vraiment réussi son coup.
Un grand roman, à la fois historique, picaresque et philosophique, qui se justifie lui-même par cette sentence de l'un des personnages : "Quelle que soit sa condition, aucun homme n'est seul s'il tient un livre à la main."